Il y a de nombreuses activités qu’on pourrait qualifier de fuite de la réalité. Binger des séries sur Netflix, passer des heures sur facebook ou Instagramm, jouer à Candycrush à n’en plus finir. Pour moi, c’est la pornographie. Et ça va loin.
Car il y a quelque chose de suicidaire dans mon rapport à la pornographie. Si je ferme les volets quand je consomme de la pornographie, ce n’est pas seulement pour ne pas être vu de mes voisins, c’est pour moi. Pour me couper du monde. Car le monde est dur, très dur, et pour moi, vivre, c’est nager à contre-courant. Laissez-moi vous expliquer un peu.
J’ai toujours vu le monde réel comme une source d’angoisse, et vivre a toujours constitué, pour moi, un challenge. J’éprouve une sorte d’étonnement envieux quand je fréquente des gens pour qui la vie semble couler de source. Vous savez, ces gens qui attirent les gens, parce qu’ils sont drôles, qu’ils mettent tout le monde à l’aise, qu’ils sont déliés. Ils semblent heureux.
Bien sûr, la vie est dure avec tout le monde, et le bonheur est fuyant pour tous. Mais tout de même, ce n’est pas à part égale. Moi, depuis tout petit, j’ai plutôt l’impression que les gens soit m’évitent, soit s’amusent de moi (et non pas avec moi). A l’école, au collège, j’ai souvent été le bouc émissaire. La vie, pour moi, c’est souvent être le témoin de ce qu’elle me refuse et qu’elle donne aux autres. Je suis un envieux.

L’envie, ça ressemble à ça.
Alors, quand je regarde du porno, il faut fermer les volets. Car voir le ciel et la lumière du Soleil, lorsque j’ai les yeux aspirés par une vidéo, c’est une gêne. Ça me rappelle qu’un autre monde est possible. Or, le plaisir ressenti dans le porno dépend de l’intensité avec laquelle on s’y noie. La joie évidente qu’on ressent tous quand le ciel est bleu, cette bouée de sauvetage des mauvais jours, la beauté naturelle de la vie si vous voulez, je n’en veux plus, car elle entrave le plaisir pornographique. Le plaisir pornographique a pour carburant l’envie accumulée en moi, ce plaisir que j’ai vu s’étaler dans la vie des autres, mais que la vie m’a refusé.
J’aime la poésie pourtant, et la simplicité naturelle des choses et des arbres. Et j’ai de la chance car on voit des arbres depuis ma fenêtre. Alors quelquefois, quand je ne parviens pas à me noyer convenablement dans le porno – vidéos trop vues, excitation exténuée – je suis pris d’un doute. Je me lève, je vais à la fenêtre en rasant le mur afin de ne pouvoir être vu depuis dehors (car je suis nu), et je regarde. Je vole un coin de ciel depuis un coin de fenêtre.
Je me sens alors comme un prisonnier derrière ses barreaux. Il y a un parc en bas de chez moi. J’entends les enfants qui jouent, et j’éprouve un sentiment doux-amer. Peut-être la nostalgie de ma propre enfance. L’enfance c’est l’innocence et l’innocence, c’est quand l’avenir est encore vaste. Or, si excitante que soit la noyade dans le porno, on ne perd jamais conscience que ça se joue dans un écran, et on sait bien que l’écran ne sera jamais aussi vaste que le ciel. C’est pour ça qu’on est déçu après l’orgasme.
Par la fenêtre, je vois les reflets mauves du ciel de la fin de journée, les cris des enfants qui jouent, et toute cette beauté qui se déploie au ciel et sur la terre, elle pèse. Elle pèse car je me sens coupable d’avoir enfoui en moi l’innocence, sous des tonnes de porno, qu’ont tassées le poids des années. Le ciel et les enfants qui jouent me rappellent que ma vie pourrait être différente. Que serait devenu l’enfant que j’ai été s’il n’avait pas rencontré la pornographie ? S’il ne s’était pas laissé enfoncer dans l’autogynéphilie ? Peut-être que c’est ses enfants à lui qu’il regarderait jouer dans le parc.
Alors, ce beau ciel et cette belle ambiance, ça devient douloureux, c’est trop vaste. Le porno qui luit sur mon écran, derrière, n’occupe que 13,5 pouces de diagonale. On est bien à l’abri dans un si petit espace. On n’est jamais le bouc émissaire, dans 13,5 pouces de diagonales.
Je vous jure que dans ces situations, je regrette qu’il ne pleuve pas.

5 commentaires