Afin de me rétablir de mon addiction à la pornographie, je fréquente des groupes de parole, DASA (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes). Ces groupes de parole ont été conçus sur le même modèle que les Alcooliques Anonymes, et c’est ce que j’ai trouvé de plus efficace pour se rétablir de l’addiction au porno, de loin.
DASA édite des textes, qui sont un peu « la bible » à laquelle on se réfère souvent. Et dans l’un d’eux, il y a cette phrase à propos de l’addiction sexuelle, qui me parle beaucoup. C’est une phrase qui décrit ce que c’est que vivre dans un état de dépendance active. Cet état est « plus terrifiant encore que la mort physique elle-même » dit le texte. Et il continue :
« Combien bouleversante était la perte de notre âme dans un corps spirituellement mort mais animé par des pulsions instinctives qui le régissent. »
Ça peut paraître excessif si vous n’êtes pas accro depuis trop longtemps. Après 20 ans d’addiction active à la pornorgraphie, je confirme pourtant l’entière véracité de ce passage. Et nul besoin de croire en l’existence de l’âme. Son vol par le porno vous convaincra qu’effectivement, auparavant, vous en aviez une. Mais ça, c’était avant.

Ça ne se voit pas forcément de l’extérieur, mais vous vous savez.
C’est une chose, je crois, que seuls les addicts comprennent. Malheureusement, cette dimension passe très souvent inaperçue. Parce que ce n’est pas visuel. Pas comme la détérioration physique des addicts au crack ou l’alcool par exemple. Or, avec la dépendance à la pornographie, il n’y a pas de séquelle physique, du coup on voit rien. Je crois que c’est aussi pour ça que tant d’experts et de psys prétendent que la dépendance sexuelle, ça n’existe pas. J’en parle ici.
J’ai constaté que c’est très difficile à faire comprendre aux psys, en tous cas (et j’en ai vu beaucoup, des psys), j’ai le sentiment qu’ils m’écoutent poliment, comme s’ils se disaient intérieurement « Ok, ce patient pense que son vrai problème est l’addiction à la pornographie, mais moi, psy, je sais bien que ça n’existe pas. Je ne peux pas lui dire car il rentrera alors dans un mécanisme de déni, qui empêcherait la thérapie d’avancer. Je vais donc le laisser continuer ses histoires, et me débrouiller pour le faire parler de ses vrais problèmes. Et de sa mère. »
Ce n’est pas qu’ils ont tort, les psys. Bien sûr que l’addiction à la pornographie masque d’autres problèmes. Mais ils échouent souvent à comprendre que l’addiction à la pornographie est un problème en soi, qui mérite d’être traité en soi, pour soi. Pourquoi ? Parce que tant que l’addiction est active, il est illusoire de tenter d’explorer les problèmes plus profonds qui la génèrent. Il n’y a pas de place pour ça.
J’ai fini par me dire qu’ils ne comprennent pas, parce que les concepts leur manque. Comment expliquer qu’il y a un problème quand tout le reste de votre vie semble aller à peu près ? Vous avez un boulot, une famille, des amis. Comment leur expliquer ce grand vide, cette dévitalisation de soi-même ? Eux, ils voient quelqu’un qui a l’air d’aller bien (comme tous les gens qui vous entourent d’ailleurs. Personne ne connaît votre petit secret n’est-ce pas ?). Les concepts manquent. Et on ne peut pas parler de son « âme » à un psy, ça ne marche pas. Ce n’est tout simplement par leur domaine de compétence.

Pourtant, je crois que c’est là que ça se joue.
C’est difficile de parler d’ « âme », sans mettre de guillemets autour. Ça fait presque un peu honte, moi je n’ose pas. On vit dans une société qui rit de vous, si vous dites que vous pensez en avoir une. Mais comment expliquer autrement ce sentiment de souillure intérieure qu’on ressent après avoir bouffé du porno pendant trois heures ? Alors bien sûr, ils sont nombreux à affirmer qu’on ressent une telle souillure justement en raison des croyances religieuses qui prétendent que l’âme existe. Débarrassez-vous de l’âme, et vous vous débarrasserez de la souillure. Je l’ai vraiment entendue celle-là. Elle est même documentée par des études scientifiques.
Moi je veux bien. J’ai essayé « d’accepter », comme on dit. C’est-à-dire, de consommer du porno sans culpabilité. En me disant que de toute façon, tout le monde le fait déjà, et puis que bon, c’est pas comme si je faisais du mal à autrui, et puis qu’il n’y avait pas vraiment de conséquence sur ma personne (pas de risque d’overdose avec du porno).
Et bien non, je persiste et signe : quand j’accepte le porno dans ma vie, je perds goût à tout le reste. Ça ne se fait pas forcément un jour,d’accord. Mais ça se fait bel et bien. Je finis par ne plus apprécier ni la musique, ni la lecture, ni les films, ni la cuisine, ni les amis, c’est-à-dire mes plus grands plaisirs naturels. Je finis même par perdre le goût de contempler les nuages. Ce qui, chez moi, est un indice grave de déperdition.
En apparence pourtant, tout va bien avec le porno : je bosse à peu près correctement, je continue de voir mes amis, je fais du sport, je pratique mon instrument, mais comment dire… je m’emmerde tout le temps. Parce que comparé à l’excitation du porno, tout est moins bien (en apparence bien sûr). Travailler, voir des amis, faire du sport ou de la musique : autant de temps que ne passe pas sur le porno, autant de temps de perdu pour le zombie que je suis alors.
Parce que c’est ça un zombie dans le fond : quelqu’un qui a l’apparence d’un humain, qui « fonctionne », mais qui n’a plus de vie intérieure. Il n’aime que bouffer de la chair humaine. Un peu comme un porn-addict, je suis désolé.

Bon ok, j’exagère un peu. Mais si votre connexion plante au moment d’arriver sur Pornhub, c’est un peu ça quand même non ?
Je crois que la plupart des gens, à notre époque désacralisée, ont perdu les concepts nécessaires pour penser l’existence de la vie intérieure. Peut-être est-ce pour ça que les films de zombies ont tant de succès aujourd’hui : c’est le seul moyen de parler de l’âme, sans en parler directement. D’en parler sans qu’on se foute de vous. C’est peut-être aussi parce que le zombie est une bonne métaphore de cette phrase que je mettais en exergue au début de l’article : « combien bouleversante est la perte de l’âme dans un corps spirituellement mort mais animé par des pulsions instinctives qui le régissent. »