Quand on décide de quitter le porno, ce qu’on décide en fait, c’est de changer de vie.
Parce qu’on a fini par comprendre que ce que le porno abime, ce n’est pas seulement notre libido, c’est notre puissance de vivre – on a fini par comprendre qu’avec le porno on vit en rabougri.
Alors, on décide, une bonne fois pour toute, d’arrêter le porno et de renouer avec la vie, la vraie, la vie en grand.

Sage décision.
Sauf qu’on se casse la g….. quelques temps plus tard (jours, mois, années).
On rechute.
Et la rechute, ça a toujours un petit goût de trahison de soi. C’est moche à vivre. Ça nourrit la conviction intime qu’on n’y arrivera pas. Peut-être faut-il « accepter » qu’on est addict ? Se faire une raison ? Ou bien alors, accepter qu’il faille remonter en selle ?
Alors, la rechute, est-ce que c’est la fin des haricots, ou un jalon sur le chemin ?
Lorsqu’on arrive à être sobre de toute consommation pornographique pendant un certain temps, on assiste à l’émergence d’un nouveau Soi.
Pour ma part, c’est un peu comme si j’avais une nouvelle peau : je sens tout mieux. Un peu comme quand j’avais arrêté de fumer, et que je ressentais à nouveau les parfums qui traînent dans l’air ambiant, l’odeur de sève qui se dégage de cette rangée de mini-sapins qui sert de haie à la terrasse du bar au bout de la rue, ou celle de la sueur du type qui vient de rentrer dans le métro. J’ai arrêté il y a dix ans, jamais repris.
Quand je suis sobre de porno, c’est un peu cet étonnement de chaque instant que je ressens.
La (re)découverte d’une qualité d’être. Je vois mieux le ciel bleu. J’entends mieux la douceur du vent dans les arbres. Je goûte mieux le plaisir du repas. Et surtout, je ressens mieux ce sens intérieur, vous savez, le sens de la joie. La joie pour rien. Juste la joie d’être là. C’est le plus important.

Et quand je rechute, patatras.
Tout ça fout le camp, mais alors, fissa. Je me dis que je suis une merde, que je suis condamné à être enchaîné au porno, que c’est lié à une part intime et profonde de moi que je ne peux pas détacher. Une part de moi dont il est illusoire de croire que je pourrai la couper – un peu comme si je voulais me couper un bout de cœur. La joie se transforme en aigreur.
Puis-je, une bonne fois pour toute, quitter le porno à tout jamais ?
Sincèrement, je ne sais pas.
Mais je sais une chose. Je n’ai non pas un, mais deux « moi ».
Il y a le « moi » addict et autogynéphile, qui se goberge de porno avec des jouets prostatiques dans le c….
Et il y a le « moi » sobre.
Je préfère largement le second, il est 1 000 fois plus dynamique, plus aimant, plus joyeux.
En un mot : il est plus beau.
(Mais qui est ce « je » qui affirme qu’il préfère le second « moi » ? Je ne sais pas. « Je est un autre », disait Rimbaud. Les bouddhistes, eux, disent qu’il n’y a que « vacuité ». Ils font toujours tout pour qu’on ne les comprenne pas, les bouddhistes.)
Avant, je croyais que la rechute, c’était la remise des compteurs à zéro.
Mais ça, c’était avant.
En fait, mes deux moi existent, alternativement.
Et quand je rechute, ça ne supprime pas le moi sobre. Ça le met en sommeil. En hibernation.
Mais attention : il n’est pas exclu qu’à force d’hiberner, le moi sobre finisse par mourir. Il m’appartient de réveiller mon moi sobre, quand est venue l’heure du printemps à l’intérieur de ce « je » si mystérieux. C’est ma responsabilité.
En tous cas, je le constate : le moi sobre, une fois qu’il est réveillé, il est en pleine forme. Il se lève à l’intérieur de « je ».

Il s’étire et fait un salut au Soleil.
Il réactive ses nerfs. Il se reconnecte à la peau et à la joie.
Il injecte du bonheur dans mon système. Même s’il m’arrive plein de choses stressantes et angoissantes, je peux toujours sentir cette base de bonheur, en-dessous.
C’est pour cela que je ne crois plus qu’une rechute soit une remise des compteurs à zéro.
Ce qui compte, c’est le temps passé dans la sobriété.
Plus ce temps allonge sans interruption, plus le moi sobre se renforce, s’épanouit, conquiert des nouveaux territoires de « je ».
Quand je rechute, pouf, il rentre en sommeil, comme la Belle au Bois Dormant empoisonnée par la pomme de la sorcière (à moins que ce ne soit Blanche Neige. Bref, vous avez compris).
Et à son tour, le moi addict se réveille.
Mais lui, c’est un peu différent. Je ne peux pas dire qu’il s’étire et qu’il se reconnecte à la peau.
Le moi addict est plus faible, plus veule. Il rampe sous le « je ».
Il fait des peaux de bananes. Il n’est jamais pleinement chez lui. Il n’est jamais pleinement lui.

Il tente de conquérir le territoire du « je » mais cette terre-ci se défend d’elle-même, elle se montre récalcitrante à ce colon-là. La terre lutte contre le moi addict – en vain, c’est vrai. Je chute et rechute et re-rechute.
Mais ça a toujours un goût de chute, justement. Ce n’est jamais pleinement un acte. Une chute, comme sur une peau de banane. C’est toute la différence entre le moi sobre, qui agit, et le moi addict, qui réagit.
La terre du « je » accueille le moi sobre. Parce que le moi sobre agit sur elle comme un paysan bio sur la terre qu’il habite et qui l’accueille. Il la sculpte. Il la met en valeur. Il la fait advenir à elle-même.
A l’inverse, la terre du « je » a un rapport très différent au moi addict. Elle sent bien qu’il la pollue. Qu’il esssaie d’exploiter au maximum ses capacités de jouissance. Qu’il détourne ses forces telluriques. Il veut tout figer. Il la bétonne. Alors, la terre du je repousse le moi addict.
Je ne sais pas si je suis bien clair.
En tous cas, une chose est sûre : ce qui compte, c’est le temps passé dans la sobriété.
Parce que lorsque le moi sobre se réveille et s’étire, il retrouve très vite toute la force qu’il avait acquise lors de la dernière plage de sobriété.
Avant, je comptais les jours qui séparaient les rechutes.
Maintenant, je compte les jours de sobriété et je trace un petit bâton sur une feuille. C’est beaucoup plus vrai. J’ai vu qu’il y a des gens qui mettent une brique de légo pour chaque jour de sobriété. Certains ont réalisé des petites constructions bluffantes.
