Depuis quelques temps, je réfléchis aux liens entre addictions à la pornographie, et boulimie. Je ne suis pas boulimique moi-même, mais il y a des rapports intéressants entre ces pathologies. Il s’agit bien d’addiction comportementale dans les deux cas. Et d’un comportement sévèrement jugé par la société, ainsi que par l’auteur du comportement, qui se juge lui-même. Quelque chose de particulièrement honteux.
Un boulimique n’est pas toujours gros. Car après la crise, il se fait vomir. C’est la « purge » (c’est qui distingue la boulimie de l’hyperphagie, où la personne ne fait que manger). La purge. C’est précisément ça qui m’interpelle, vous allez voir pourquoi.
La boulimie donc, est une addiction comportementale. Les boulimiques ne peuvent pas s’empêcher de manger. C’est une pulsion. Ils mangent pour se calmer, pour soulager soulager l’angoisse. Ils mangent pour tempérer leurs émotions. Pour « combler le vide », littéralement.

Et plus ils mangent, et plus ils se méprisent, et plus ils se méprisent, et plus ils mangent. Pour oublier la douleur.
Mais bien souvent, après la crise de boulimie, ils se font vomir : c’est la purge. La purge provoque un soulagement, car c’est en quelque sorte un acte de purification. Par la purge, le boulimique se signifie à lui-même que « plus jamais ça ». A présent, il sera sobre de sa compulsion alimentaire. Il mangera sainement. Il sera comme tout le monde. C’est décidé : il sera clean.
Bien sûr, tôt ou tard, les émotions vives sont de retour, c’est la vie. Alors, le boulimique voit l’envie de bouffer renaître. Elle grandit en lui, jour après jour, et il lutte, le boulimique, pour ne pas perdre l’ascendant. Mais l’envie de bouffer se fait irrépressible, et alors, un jour, crac, back to the fridge.
Le cycle du boulimique ressemble donc à quelque chose comme cela.

Moi, je suis porn addict. Et je suis autogynéphile : quand je consulte du porno, j’imagine que je suis la femme, cela m’excite terriblement. Alors, pour augmenter encore l’excitation, j’ai souvent recourt à différents sextoys, godes, pour simuler l’effet de pénétration.

Et une fois ma petite crise pornographique passée, qu’est-ce que vous croyez que je fais ? Eh bien, je purge moi aussi. Je balance tout les sextoys à la poubelle. Parce que « plus jamais ça », hein.

Mon cycle ressemble donc exactement à celui du boulimique.
Et je crois que nul besoin d’être autogynéphile pour comprendre le lien entre addiction à la pornographie et boulimie, car la purge est un phénomène universel chez nous-autres, porn-addicts. En effet, lequel d’entre nous n’a jamais :
- supprimé tous ses favoris Firefox renvoyant à ses contenus préférés ?
- supprimé toutes ses vidéos / photos sur son disque dur ?
- supprimé toutes ses inscriptions à des tchats / sites « coquins » ?
- promis à lui-même que dorénavant, il serait clean ?
Et quel addict n’a pas ensuite trahi sa promesse et reconstitué gentiment toute sa petite collec’ ?

J’ai parcouru ce cycle des douzaines de fois. Pour un sexshop, m’avoir comme client, c’est l’assurance d’un revenu régulier, un peu comme un magasin Louis Vuitton avec la femme d’un émir (tiens, d’ailleurs, est-ce qu’elle se dit « plus jamais ça » la femme de l’émir, une fois sa crise dépensière passée ? Lui arrive-t-il de balancer son sac de luxe aux ordures avec un sentiment de honte ? Et quelles hontes de soi se cachent derrière le consumérisme généralisé de notre société ?)
Les parallélismes entre addiction sexuelle et boulimie sont nombreux. Si cela vous intéresse, je conseille ce remarquable documentaire sur « les gros », réalisé par la télévision suisse, passionnant et très bien fait. Il ne traite pas spécifiquement de boulimie, mais on voit bien comment à la source de la compulsion pour la bouffe, il y a une immense douleur, un torrent de larmes, une enfance humiliée, « bouc-émissarisée ». On comprend toute la douleur d’être « un gros ».
Pourtant, la boulimie n’est pas l’addiction à la pornographie. Justement parce que beaucoup de boulimiques, malgré la purge, sont gros : un gros, ça se voit. Ça se juge. Tout le monde juge les gros, ne serait-ce que par les regards de commisération qu’on peut leur adresser.
C’est un peu comme si tout le monde, dans la rue, dans les transports, au boulot, voyait que vous étiez porn-addict. Auriez-vous réussi à trouver un boulot dans de telles conditions ? Notre honte à nous est intérieure, personne ne la soupçonne car elle ne se voit pas (à part une certaine tristesse qui nous teinte le visage peut-être). Chez « les gros », la honte est publique, jetée en pâture à l’opprobre.
« Ils n’ont qu’à faire attention à eux » ; « C’est de leur faute» ; « Ce sont des déviants qui ne savent pas se contrôler, des faibles. » Voilà ce qu’on leur dit, aux gros, et des fois, explicitement. Voilà ce que nous autres, porn-addicts, nous disons à nous-mêmes, dans l’intimité de notre for intérieur.
Des fois, je me prends à rêver d’une grande fraternité des addicts, tous horizons confondus. Les addicts au jeu. Les addicts au Q. Les addicts à la bouffe. A l’héro, à l’alcool, au jeu vidéo. Un grand forum vivant dans lequel nous pourrions échanger, sur ce qui nous ressemble, et aussi sur ce que qui nous différencie. Nous serions tous plus forts.

Il y a des boulimiques qui guérissent. C’est long et très difficile. D’après ce que j’ai lu, tout le monde n’y arrive pas. Mais c’est possible. Ceux qui guérissent ont cessé de purger. Car ils ont cessé d’avoir des crises. Je ne sais pas ce qu’il en est des autogynéphiles.
Je vais enquêter. Il y aura prochainement un second article sur ce thème sur Troubles-Fantasmes.