Dans notre lutte contre l’addiction à la pornographie, je trouve intéressant de se sortir un peu la tête du guidon. De chercher de l’aide, pas seulement dans les vidéos de développement personnel sur Youtube ou chez le psy, mais aussi dans la sagesse populaire. Et pour ça, les contes sont fortiches. Nous avons déjà vu ce que le psychologue Jordan Peterson disait à propos du conte de Peter Pan. Je vous propose ici de nous pencher sur le cas de Pinocchio, ce petit enfant pas comme les autres, et qui voudrait bien le devenir. Car je crois qu’en tout porno-addict, il y a un Pinocchio qui est là. Voyons cela.
On connaît tous le fameux dessin animé de Disney, mais en fait, Pinocchio est beaucoup plus ancien, puisqu’il naît en 1881, sous la plume d’un auteur italien, Carlo Collodi. Dans ce qui suit, je me baserai sur la version Disney, mais pour ceux que ça intéresse, le texte original, traduit en français, est ici, et est une très belle fable éducative.
Pinocchio, une enfance difficile ?
Avant toute chose, sachez que Pinocchio, en toscan (la langue de Collodi), cela signifie « pignon de pin ». Et c’est aussi, l’argot pour dire « petit crevard », nous dit Wilkipedia, rien de moins. D’ailleurs, dans le conte original, Pinocchio est sculpté dans du bois, mais pas un bois noble, non : « un simple morceau pris dans un tas de bois à brûler ». Ça promet.
Dans le dessin animé, la nuit où Gepetto finit de sculpter Pinocchio, la Fée Bleue apparait et propose à ce dernier un marché : il deviendra un vrai petit garçon comme il le désire tant, mais seulement s’il se montre digne de l’être. Il devra se montrer « brave, franc, loyal et obéissant ». Pinocchio doit donc faire ses preuves : il ne sera « un vrai petit garçon » que s’il se montre à la hauteur. Pression, donc.

La Fée Bleue se fout pas mal de l’amour inconditionnel
Nous autres porno-addicts sommes peut-être plus marqué que d’autres par un vif sentiment d’insécurité intérieure. Pour ma part, je me suis toujours senti très différent des autres petits garçons quand j’étais à l’école : plus petit que la moyenne, assez rêveur, j’étais souvent rejeté. Moi aussi, je voulais être comme les autres. Quant à ma propre Fée Bleue, ma mère, je n’entrerai pas dans les détails, mais beaucoup de sévérité se cachait sous sa baguette. Les psychologues ont souvent fait remarquer que les gens qui deviennent addict ont un profil un peu atypique, un peu victime.
L’Île aux Plaisirs = Pornhub ?
Après quelques péripéties, Pinocchio finit par s’embarquer avec toute une troupe d’enfants pour « l’Ile enchantée ». Dans la version originale du film, c’est « Pleasure Island », l’île aux Plaisirs. Les enfants sont emmenés par le Cocher, un personnage maléfique, qui a son plan : l’Île aux Plaisirs est en fait un piège. Les enfants qui y vont, dit-il, « ne sont jamais plus des enfants ». Mais ça bien sûr, les enfants et Pinocchio ne le savent pas.
Tout ce qu’ils voient, c’est que l’Île aux Plaisirs leur promet 1000 délices. Car sur l’Île aux Plaisirs en effet, non seulement il n’y a jamais école, mais en plus, tout ce qui est interdit aux enfants par leurs parents, y est autorisé : ils pourront se goinfrer, mais aussi fumer, boire, se battre et tout casser. Et cerise sur le gâteau, le Cocher, précise « qu’il n’y aura rien à payer ». Traduisons.
L’Île aux Plaisirs, je la vois comme le royaume de la pornographie en ligne, ce lieu magique où l’on brise tous les interdits. Un copain de Pinocchio, qui se nomme Crapule, lui dit d’ailleurs « Faire le méchant, ça repose ! ». Et vraiment, c’est exactement mon rapport à la pornographie : faire le méchant, ça me repose moi aussi.

J’aimerais être bon mais…
Dressons un petit comparatif entre l’Île aux Plaisirs et Pornhub.
- Sur l’Île aux Plaisirs, on échappe aux contraintes de l’école, devoir étudier, faire des efforts et être sage. Sur Pornhub, on échappe aux responsabilités, au stress du boulot, aux contraintes de la vie familiale et des obligations qui pèsent sur nos vies d’adulte ;
- Sur l’Île aux Plaisirs, les enfants peuvent faire tout ce que leur interdisent les parents : fumer, boire, se battre, tout casser…. Sur Pornhub, on peut briser tout ce que la société réprouve, faire tout ce que la « bonne morale » nous interdit : le sexe débridé et sans affect.
- Le Cocher dit qu’une fois rendus sur l’Île aux Plaisirs, les enfants « ne seront jamais plus des enfants » (on comprend ensuite pourquoi cette phrase est à prendre au sens littéral). Les sites porno aussi détruisent l’enfant en nous. Parce que y a pas à dire, regarder des milliers de films pornos, ça vous fout en l’air toute prétention à l’innocence.
- Le Cocher, toujours lui, invite les enfants à profiter, à tout manger, à s’empiffrer sur l’Île aux Plaisirs. Il leur dit « Vous n’aurez rien à payer ». Sur les sites pornos, on consomme des millions et des millions de contenus gratuits, et notre voix intérieure (notre Cocher intérieur) nous dit que « ça peut pas faire de mal ». Que cette fois-ci, « c’est juste une fois », bref : qu’il n’y aura pas de conséquence. Qu’il n’y a rien à payer.

C’est un peu mon espoir caché, à chaque fois que je consomme du porn…
L’avenir du porno-addict : la déshumanisation
Mais il y a un prix bien sûr. Car soudain, le Cocher ferme les portes de l’Île et déclenche la malédiction. Il lance « Vous avez pris du bon temps sales mioches ! Il faut payer maintenant ! ». Et les enfants se transforment alors en ânes. Ces ânes sont enfermés dans des cages, et ils seront vendus, pour aller pousser des chariots dans les mines de sel pour toujours. Un point très cruel : certains d’entre eux parlent encore quand ils sont enfermés. Ce qui veut dire qu’ils sont encore conscients.
L’interprétation coule de source n’est-ce pas ? La fermeture des portes, et la transformation en bêtes de somme, c’est l’enfermement dans le plaisir. L’addiction à la pornographie. Les mines de sel, c’est quand on compulse des heures durant, devant des centaines de contenus, sans plus même réussir à trouver l’excitation… mais sans pouvoir arrêter non plus.
L’âne, bien sûr, est un symbole d’obstination et de stupidité. L’accro à la pornographie ne dispose plus de la force mentale pour s’arrêter, il ne sait que s’obstiner dans son comportement. Et réellement, nous dit la science, chez les addicts, la zone du cerveau qui contrôle la volonté, le cortex préfrontal, voit son activité diminuée, amoindrie. Nous devenons, réellement, un peu plus stupides, obstinés… Nous nous transformons en ânes.

Un pornophage sur son écran
Pourquoi et comment Pinocchio s’en sort-il ?
Pinocchio sera sauvé par Jiminy Cricket (qui symbolise sa conscience) qui l’arrache à sa sidération. Tous deux se sauvent et plongent dans l’eau pour fuir l’île. Ils nagent toute la nuit pour rejoindre, exténués, le rivage. Pour un porno-dépendant, il faut aussi trouver le courage de s’arracher à la sidération pornographique… et sauter dans l’eau froide, c’est-à-dire cliquer sur la petite croix en haut à droite de l’écran, celle qui ferme le navigateur. Il faut ensuite nager, nager longtemps : c’est l’expérience du sevrage.

Fermer le site de Q avant l’orgasme, ça ressemble à ça. Essayez, ça pourrait vous plaire.
Toujours est-il qu’à la fin, Pinocchio et sa conscience sont rendus à la terre ferme, enfin libres. Mais Pinocchio conservera longtemps encore sa queue et ses oreilles d’âne. De même que nous autres addicts conserveront en nous ces images porno, qui reviendront encore et toujours nous hanter pour longtemps.
Ils connaîtront d’autres péripéties, que je vous laisse (re)découvrir en re(voyant) le film, excellent à tous points de vue (sans rire, je sais que ça fait un peu vieux con de dire cela, mais on ne fait plus de films comme ça. Et puis j’ai 41 ans après tout).
Une question pourtant : pourquoi diable Pinocchio ne s’est-il pas intégralement transformé en âne comme les autres enfants ? Pourquoi, chez lui, il n’y a que les oreilles et la queue, et que ça s’arrête là ? Parce qu’il a réussi à s’échapper à temps ? Oui, mais l’explication est incomplète : chez les autres enfants, la métamorphose survient en quelques instants, pas chez lui. Alors pourquoi ?
Ne serait-ce pas parce qu’il est fait de bois ? N’étant pas fait de chair et d’os comme les autres enfants, ne se transformerait-ils pas plus lentement ? Ce serait alors précisément en raison sa différence d’avec les autres, qu’il serait sauvé. Cela signifie que cela même qui a fabriqué en nous la condition d’addict, ce petit enfant / adolescent mal dans sa peau car il n’est pas comme les autres et qu’il a peur de déplaire à la Fée Bleue (à sa mère), ce petit enfant qui voudrait changer parce qu’il est différent, et bien c’est justement en sa différence que réside sa force .

Soyons ceci…
Le conte de Pinocchio nous dit que pour atteindre à la plénitude de nous-mêmes, il s’agit de devenir ce que nous sommes. « D’accepter », dirait ma psy. Ce qui n’a rien à voir avec accepter de continuer d’aller sur des sites pornos, mais bien accepter qu’on n’est pas fait du même bois que les autres, d’accepter sa condition d’être différent des autres. Pour moi, ça veut dire apprendre à accepter que ce vif sentiment d’insécurité intérieure, il restera là. C’est le « bois à brûler » dont je suis fait.
Un point d’importance : je crois que c’est une erreur de se dire : « je travaille sur moi-même en thérapie, et je continue d’aller sur du porno tant que je ne suis pas guéri (de quoi ? d’être différent ?) ». Non. Il faut d’abord cesser le porno, et l’acceptation de soi viendra plus tard. D’abord quitter l’Île. Car souvenez-vous que de nombreux ânes sont encore conscients quand ils sont définitivement enfermés dans une cage.

… où nous deviendrons cela.